Les femmes du Chantier des Francofolies #3 : Clara Ysé

A travers une série de douze interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francos entre 1998 et 2020. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Coaching personnel, soutien et conseils sont partagés tous les ans entre les professionnels de la musique et ces jeunes talents en devenir. Après Pauline Croze et Suzane, RIFFX continue cette série de portraits aux côtés de Clara Ysé, sélectionnée pour le Chantier 2020. Poétique et singulière, cette jeune artiste à la voix lyrique nous a charmé dès l’instant où son EP Le monde s’est dédoublé a été lancé. Rencontre.

Bonjour Clara, tu fais partie de la sélection 2020 du Chantier des Francos. Quelle a été ta motivation pour y participer ?

Le dispositif au complet : c’est-à-dire la possibilité de travailler avec différents intervenants. C’est hyper intéressant, on vient avec un projet assez précis en tant qu’artiste, et on a une vision de ce qu’on veut travailler pour améliorer le set en live etc. Il y a beaucoup d’intervenants merveilleux dans plusieurs domaines. Dans notre cas, on avait deux semaines de résidence avec tout le groupe. C’est un dispositif génial.

Avec les mésaventures liées au Covid-19 ces derniers mois, comment se déroule le Chantier cette année ?

Assez génialement. Les équipes ont fait un travail incroyable, un grand bravo à elles, car pour les artistes en développement comme nous cette période a été très dure. On avait eu la chance de faire déjà une semaine en janvier, notre deuxième semaine de Chantier est reportée en septembre. Tout de suite, les équipes ont mis en place des rendez-vous par Skype, le travail a pu ainsi se poursuivre. Puis l’idée de créer l’événement Y’a des Francos dans l’air est née : ça a été un moment vraiment magique pour nous parce que ça faisait plusieurs mois qu’on n’avait pas joué. En plus on jouera quand même l’année prochaine sur la grande scène aux Francofolies. Vraiment, il y a eu un total appui de la part du Chantier des Francos.

Clara Ysé en répétitions lors du Chantier des Francos 2020 © Sébastien Hoog

Y’a des Francos dans l’air, ça s’est passé comment ?

C’était génial. On est venus avec des formules guitare/voix ou piano/voix, complètement épurées, alors que d’habitude on est cinq sur scène lors de mon projet. Cela revenait à présenter aux gens l’ADN des chansons, que je compose justement en piano/voix ou guitare/voix. J’ai joué le matin autour d’un lac à Villeneuve-les Salines, et le soir j’étais avec d’autres artistes du Chantier, en promenade dans les rues de La Rochelle. Grâce à ces lives, j’ai redécouvert les titres et ça m’a donné plein d’idées, ça ouvre tout un imaginaire un peu ailleurs.

Tu as sorti ton premier EP Le monde s’est dédoublé en avril 2019, parle nous de ce projet.

C’est un premier EP de six titres, entre de la chanson et de la pop françaises, que j’ai enregistré il y a deux ans. Il y a énormément d’influences de musiques du monde aussi. J’ai vraiment choisi les instrumentistes avec qui je travaille pour qu’il y ait une espèce de fusion, d’univers différents. Cet EP parle du deuil que j’ai fait de ma mère, j’avais très envie que cet objet-là soit enregistré presque comme un live, qu’il soit extrêmement peu produit, pour qu’il y ait ce rapport de fragilité que peuvent parfois avoir les lives. C’est à dire de puissance de cœur.

Ce qui surprend la première fois qu’on entend cet EP, c’est ta voix. Elle est assez unique en son genre. Quel est ton parcours musical ?

J’ai commencé la musique par le violon quand j’avais 4 ans et j’en ai fait pendant dix ans. J’ai ensuite commencé le chant lyrique quand j’avais 8 ans. Et après, j’ai fait toute une formation au conservatoire, de chant lyrique. J’ai toujours aussi beaucoup écrit de la poésie depuis toute petite et puis j’ai pas mal voyagé : j’étais assez intéressée par le rebétiko qui est la musique traditionnelle grecque, la musique traditionnelle mexicaine, la musique turque… Pas mal de choses assez diverses qui m’ont donné envie de faire un objet résumant un peu ces traversées-là. Le  chant, je crois que c’est le premier vecteur, le premier rapport que j’ai eu à la musique. Petite, j’étais émerveillée par Janis Joplin, Chavela Vargas, Mercedes Sosa, Maria Callas… Des voix souvent féminines et souvent fortes. Pour moi, la voix est un miroir assez dingue de l’âme humaine.

Tu es aussi passionnée par le cinéma et les images comme le prouve ton premier clip. Pour toi, les visuels sont aussi importants que la musique ?

Je ne dirais pas qu’ils sont aussi importants mais c’est une part extrêmement importante, d’autant plus aujourd’hui. Pendant longtemps, j’étais tellement dans la musique et assez peu dans l’image, même si mon père est peintre et j’ai donc toujours eu une fascination pour la peinture. Le monde s’est dédoublé était tellement intime pour moi, liée à quelque chose de fort dans ma vie que j’avais envie de réaliser le clip. Au final, ça a été une expérience extraordinaire : j’ai adoré réunir une équipe de 40 personnes qui ont tous travaillé avec le cœur parce qu’ils adoraient le projet et on avait très peu de moyens. J’étais sur tous les fronts (rires) ! J’ai rarement autant travaillé de ma vie que pour ce clip, mais c’était merveilleux de voir une équipe se former pour défendre non seulement une chanson mais des images qu’on a dans la tête. Tout d’un coup on voit tout ça exister en vrai, c’est merveilleux. L’image est un terrain de jeux absolument extraordinaire, il y a plein de ponts à inventer pour qu’elle serve la musique et que ça devienne un jeu plutôt qu’une contrainte.

Revenons à notre Chantier des Francos ! Cette année, il y a autant de femmes que d’hommes parmi la sélection. Cela fait plaisir ! Selon ta propre expérience, penses-tu qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie ?

J’ai la chance quelque part d’avoir mené un projet en tant que leadeuse et j’ai fait des rencontres magnifiques, souvent d’ailleurs avec des femmes. La première personne à qui j’ai fait écouter l’EP était Mélissa Phulpin, qui est maintenant ma co-éditrice. Elle a été un peu pour moi l’alpha et l’oméga du projet au départ, et encore aujourd’hui. J’ai eu une chance folle de la rencontrer et je pense que ce n’est pas un hasard si cette rencontre, qui a été tellement puissante et importante, s’est faite avec une femme. Je pense que quelque part j’ai été un peu protégée pour le moment, mes interlocuteurs principaux sont des femmes, sauf les instrumentistes avec qui je joue, qui sont aussi des amis. Chacun est à sa place d’une manière assez belle. Par contre je ne peux que constater que c’est une industrie où il y a des rapports de machisme extrêmement violents. En tant que femme, c’est sans doute compliqué de se faire une place, d’être prise au sérieux, je le vois parfois autour de moi, mais à titre personnel j’ai l’impression d’avoir plutôt été protégée et épargnée.

Découvrez un podcast du Chantier des Francos réalisé avec le Ground Control en compagnie de Clara Ysé :

C’est quoi la suite pour Clara Ysé ?

Là on est en plein dans la réflexion autour de la production et de la réalisation de mon premier album qui, je l’espère, devrait sortir au printemps 2021. C’est une toute autre démarche par rapport à l’EP. Dans ce cadre, j’ai envie de travailler beaucoup la production pour que les instruments acoustiques qui m’émerveillent et m’émeuvent rencontre un univers plus électro. Il y aura bien sûr des titres qui vont sortir d’ici là. J’ai monstrueusement hâte de partager cet album (rires) ! Et puis on a une date à la Maroquinerie le 19 octobre à Paris. Je l’attends très impatiemment et j’espère de tout mon cœur qu’elle ne va pas être annulée.