Rencontre avec Mehdi Maïzi, parrain de Rappeuses en Liberté 2024

 

Les choses changent. Les Keny Arkana, Casey, bien sûr Diam’s et plus récemment Shay ont beau faire, les femmes restent encore sous-représentées dans le rap. Il faut bousculer les codes, et c’est bien ce que réalise depuis 2021 le dispositif Rappeuses en Liberté. Depuis 2021, il offre à ses lauréates un accompagnement complet pour se lancer dans le grand bain de la musique : enregistrements en studio, tournage de clip, accompagnement médiatique, rencontre avec des pointures du milieu, et bien sûr participation à des scènes à la convention MaMA et au festival Les Ardentes en Belgique. Qui marchera sur les traces d’Eesah Yasuke, Brö, Turtle White et d’autres ? C’est un jury de professionnel(le)s du milieu qui en décideront, après un accompagnement de qualité proposé par les rappeuses Vicky R, mentor de cette édition, et Lyna Mahyem comme marraine, accompagnée de l’incontournable journaliste Mehdi Maïzi comme parrain, qui a répondu à nos questions sur cette édition.

Bonjour Mehdi ! Qu’est-ce qui t’a poussé à accepter d’être parrain de cette 4e édition ?

J’étais honoré qu’on me le propose, je n’ai pas hésité une seconde. Il y a de plus en plus d’artistes dans le rap, hommes ou femmes, mais il y a une forme d’inégalité qui persiste, et ce dispositif est un des moyens de résorber cela. Il faut donner davantage la parole aux jeunes rappeuses, leur permettre de prendre la place qu’elles méritent. Parce que contrairement aux idées reçues, des femmes qui prennent le micro, il y en a beaucoup. Mais peu qui vendent beaucoup d’albums. Elles vendent moins parce qu’elles sont moins médiatisées, donc elles tournent moins, et ainsi de suite. C’est tout un cercle vicieux qu’il faut essayer de rendre vertueux.

Comment ces questionnements affectent-ils ton travail de journaliste ?

J’essaye de ne jamais tomber dans le cliché du « rap féminin », car pour moi ça n’existe pas. J’évite les émissions uniquement sur ce sujet, car c’est les mettre toutes dans un panier sans vraiment prendre en compte leurs sensibilités, leurs différences. L’enjeu c’est justement de les intégrer dans notre traitement quotidien de cette musique-là, de donner la parole. Par exemple à des Vicky R, qui est également avec moi dans le dispositif, et que j’avais repéré à ses débuts il y a quelques années. Je me souviens l’avoir intégrée à l’époque dans une compilation pour Deezer. En élaborant cette playlist, je n’avais couché que des noms de mecs dans un premier temps. Il faut aussi parfois se faire violence, pour combattre les représentations avec lesquelles on a grandi. Je n’ai pas non plus de recette miracle et je ne prétends pas être parfait, je reçois toujours plus d’hommes que de femmes dans mes émissions. C’est un long processus. Il faut avancer, il faut faire des choses, essayer des choses.

Vicky R avait d’ailleurs publié en 2022 le titre « Fuck Le Rap Féminin », toujours pour rappeler que cette étiquette n’est pas un genre musical

Oui, et elle a parfaitement raison. On n’est pas dans le sport, il n’y a pas de catégorie féminine dans l’art. En plus, faire une émission ou une playlist sur le rap féminin, c’est un peu dire « c’est bon je l’ai fait, maintenant je peux mettre le sujet sous la table ». Mais non, il faut le traiter tous les jours.

Il y a d’autres dispositifs en France pour aider les jeunes rappeuses, comme celui du label La Souterraine. Quelle est la spécificité de celui-ci selon toi ?

Ce qui est sûr, c’est que ces dispositifs ne sont pas en compétition, ils sont complémentaires. Ce qui est intéressant dans celui-ci c’est d’avoir un retour d’expérience de personnes qui connaissent bien ce milieu, que ce soit avec Vicky R, en train de se développer, ou Lyna Mahyem qui a connu des gros succès et des périodes plus compliquées avant de revenir en force, et qui en plus est une artiste complète entre rap et chant.

Qu’attends-tu des artistes de ce dispositif ?

Ce n’est pas à moi d’attendre quelque chose, je veux être surpris. Qu’on parle d’hommes ou de femmes, aujourd’hui il y a de plus en plus d’artistes, qui se professionnalisent toujours plus vite. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est d’arriver à présenter une proposition singulière. C’est ce que j’ai trouvé récemment avec le jeune TH, ou l’excellente Théodora. Et j’espère être à nouveau surpris par les jeunes artistes de ce dispositif. Et j’espère qu’il y aura de la diversité dans les propositions. Aujourd’hui le rap est pluriel, il y a des artistes qu’on classe dans le rap mais qui vont beaucoup chanter, il y de l’électro, du rock. Le rap est une musique de métissage par définition. Aujourd’hui on a un public beaucoup plus ouvert que dans le passé, qui peut davantage accepter les pas de côté.

Au-delà de l’enjeu artistique, il s’agit également de découvrir l’industrie musicale. Y a-t-il des écueils à éviter pour une jeune artiste rap ?

Les difficultés sont nombreuses dans cette industrie, mais je ne sais pas s’il y en a davantage pour les femmes. En fait, l’enjeu pour elles est surtout de convaincre le public, pour pouvoir convaincre l’industrie ensuite. Parce qu’on attend toujours plus des rappeuses, on cherche la nouvelle Diam’s. Ce qui est très injuste, c’est comme si on cherchait toujours le nouveau Booba chez les hommes. Cela invisibilise les autres rappeuses de l’histoire du rap, mais cela porte préjudice aux artistes d’aujourd’hui. Même Shay, qui est sans doute aujourd’hui l’artiste rap féminine la plus exposée, et qui a une proposition à l’opposé de Diams, a été comparée à ses débuts. Le public a encore des préjugés sur ce à quoi doit ressembler une artiste rap féminine aujourd’hui en France.

Il y a un plafond de verre à dépasser ?

Oui, même si on a de plus en plus d’exemples d’artistes qui explosent, je parlais de Shay mais on pourrait aussi citer Meryl. Je ne pense pas que ce public soit fondamentalement misogyne, mais il y a cette image d’Epinal du rappeur qui est avant tout un homme. Malgré tout, les choses sont en train de changer, le public, historiquement très masculin, est en train de se diversifier. Le succès d’une Lala &ce, qui revendique ouvertement son homosexualité, c’est quelque chose qui aurait encore eu du mal à passer il y a quinze ou vingt ans. Aujourd’hui, c’est uniquement son talent qui compte. Donc tout ça prend du temps, et reste souvent insuffisant, mais va dans le bon sens. Je suis optimiste pour l’avenir.

Antoine Gailhanou

Rappeuses en Liberté

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