Neïmo. Musique complice

Neïmo trace sa route malgré les bosses et les virages, prend des directions inattendues, fait rugir ses envies et libère la bête. « Beast » c’est justement le titre de leur troisième album. Le groupe parisien, initialement trio, désormais quatuor, nous avait jusque-là habitués à une scène rock-électro baignée aux Smiths. Les voilà avec une palette plus ouverte : du rock toujours mais aussi des strates fignolées, des embruns africains, du complexe, de la sophistication. Et, cerise sur le gâteau, un duo en français avec Dani.

Rencontre avec Bruno le chanteur, Matthieu l’homme des claviers et Camille le guitariste. Les trois créateurs du groupe se connaissent depuis le lycée et affichent toujours une complicité qui paraît sans failles. Simples, francs, souriants, ils s’interpellent, réfléchissent, s’écoutent, mais surtout parlent sans langue de bois.

Il s’est passé beaucoup de choses pour vous entre le deuxième album en 2008 et celui-ci. À l’époque vous naviguiez entre les États-Unis et la France…

Bruno : On avait en effet signé sur un label indépendant américain et malheureusement ça ne s’est pas bien terminé. On n’était pas d’accord sur plusieurs points, notamment artistiques. Par exemple ils voulaient que l’on ait une tour Eiffel sur notre pochette pour bien montrer qu’on était français. Mais le point d’orgue a été un conflit sur les termes du contrat. Donc ça s’est arrêté là.

Camille : L’avantage c’est que ça donne envie d’écrire justement, parce que des ruptures on en a eu pas mal au même moment. Par exemple on a dû changer de batteur. Juste avant de partir en tournée, le matin avant de prendre l’avion pour un gros festival à Hambourg, notre ancien batteur nous a envoyé un mail pour nous dire qu’il arrêtait là. On était vraiment atterré, on ne savait pas comment faire mais finalement on y est allé. Matthieu a dû faire une partie des chansons aux claviers, une autre à la batterie.

Matthieu : Je ne sais pas si c’était notre meilleur concert !

Bruno : Cela dit la salle était comble et les gens étaient très contents. Aujourd’hui on a un nouveau batteur, il s’agit de Vincent et c’est sûrement grâce à lui que l’album sonne comme ça.

Justement, cet album est très étonnant quand on vous connait. Il est très varié dans les genres, dense et long…

Bruno : Et encore il y a deux titres que l’on n’a pas mis ! C’est un vrai album de ruptures au sens large du terme. Des ruptures amicales et professionnelles donc, des ruptures amoureuses et même une rupture avec une certaine scène parisienne suite à la fermeture d’un bar où l’on se retrouvait tous. Finalement j’ai passé un ou deux ans avec l’impression que tout ce que j’avais construit, amicalement, artistiquement, professionnellement, s’était effondré presque en même temps. Après tout ça une rupture musicale semblait logique.

Matthieu : Finalement on pourrait presque s’amuser à retrouver les titres qui vont avec chacun de ces cas, reconstruire le roman.

Camille : Je pense qu’on était vraiment conscient de tout ça pendant qu’on écrivait cet album. Ça a duré longtemps et on l’a fait en plusieurs temps. Je me souviens qu’à un moment on était très motivés, on avait cinq nouveaux titres. Et quand on est entré pour les enregistrer on s’est dit soudainement « Mais c’est nul ! »

Matthieu : On s’était surtout dit qu’il n’y avait pas de personnalité là-dedans, que c’était juste un enchaînement de pistes mais qu’on avait trouvé ni une patte, ni un son. C’est pour ça aussi que l’on est allé creuser dans pas mal de productions. Et qu’on est allé chercher la sophistication.

Le plus étonnant sûrement sont ces petites touches d’Afrique qui apparaissent ça et là. Rien qu’en entrée d’album, les toutes premières secondes du disque posent les choses.

Matthieu : le cheminement s’est fait assez naturellement avec Vincent qui est arrivé à la batterie. On compose tous ensemble. On n’aime pas trop les choses trop fermées, on aime bien jamer, faire les choses à l’ancienne. Et Vincent avait souvent une tournerie un peu africaine, finalement il nous a apporté cette dimension et on l’a intégré dans nos meubles. Au cours de la composition ces rythmiques qu’on ne faisait pas avant venaient naturellement. Du coup je n’y ai pas échappé et ces premières petites notes de claviers qui ouvrent l’album et qui sonnent un peu comme des percussions africaines sont venues de soit.

Camille : Mais certains morceaux ont subi une digestion plus longue que les autres. Pour tous les titres un peu plus électro c’était comme des couches supplémentaires et traitements successifs. Et je suis assez content parce qu’avant notre son était très dur, très brut avec les instruments qui se distinguent parfaitement. À l’époque c’était une contrainte que l’on se donnait : huit pistes et c’est parti. Là en revanche c’était tout l’inverse, c’était comme si on prenait une matière et qu’on la remuait jusqu’à tant qu’elle nous plaise.

Mais est-ce que ce disque n’est pas également varié parce que justement il a été écrit sur plusieurs périodes différentes ?

Matthieu : Ah si, sûrement. On s’était d’ailleurs fait la réflexion qu’il y avait deux périodes dans cet album avec le côté plus brut des titres comme Fight Fight Fight et ce côté particulier de nouvelles arrivées travaillées et retravaillées comme Beast. Il y a à la fois le prolongement de ce que l’on faisait avant avec quelque chose de nouveau qui s’est greffé là-dessus. La fin et le début en même temps.

Quant à la voix c’est pareil, elle paraît totalement décomplexée…

Bruno : Oui parce que c’est le premier album où je ne me mets plus la pression par rapport à la nécessité d’avoir une seule couleur de voix pour être compréhensible et « classable ». Avant on nous demandait de ne pas être trop éclectique, d’être dans une seule case. Les conseillers avaient raison d’ailleurs puisque le dernier album avait été plutôt bien reçu et pas mal chroniqué.

Avec ce nouvel album plus divers, c’est devenu plus difficile ?

Bruno : Exactement. Mais tant pis, on a vraiment eu besoin de revenir à quelque chose de plus naturel, à savoir que chacun d’entre nous a des goûts musicaux différents ou des humeurs différentes.

Matthieu : Avant on était plus dans l’envie d’appartenir à un son qu’on aime. Maintenant on a grandi et on est quatre personnes désormais adultes avec des univers différents.

Difficile pour finir de ne pas parler du duo avec Dani « Où sont mes américaines ? » La première chanson écrite en français depuis l’existence de Neïmo. Ce n’est pas anodin…

Matthieu : Ce qui est drôle c’est qu’à une époque on nous a beaucoup reproché de ne pas chanter en français. Et il n’y a rien de pire que de forcer les gens à faire des choses, c’est là qu’ils le font mal.

Camille : Au départ c’était quand même une contrainte parce que Dani ne pouvait pas chanter en anglais. Et l’idée du duo avec elle est née avant que la chanson soit écrite. Mais cette femme a une vie tellement incroyable qu’en discutant avec elle, cette contrainte est devenue une évidence. Et les paroles ont finalement été écrites en une soirée.

Propos recueillis par Marjorie Risacher