Les Femmes du Chantier des Francofolies #10 : Raphaële Lannadère

A travers une série d’interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francofolies entre 1998 et 2021. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Après Blandine Rinkel et Buridane, RIFFX continue cette série de portraits en compagnie de Raphaële Lannadère aka L, une douce poétesse qui manie les mots comme personne, et les allie toujours avec justesse et mélodies enchanteresses. La preuve avec son nouvel album Paysages, sorti en janvier 2021. Rencontre.

Bonjour Raphaële, ton passage sur le Chantier des Francos remonte à 2010. Quelles ont été tes motivations pour y participer ?

Mes motivations, c’était de savoir qu’il s’agissait d’un endroit de formation et un endroit prescripteur pour le métier dans son ensemble, permettant l’accès à un tout petit peu de connaissances, le métier et des interlocuteurs… C’est une étape positive pour lancer sa carrière. Mon premier album Initiale est sorti en 2011, juste après, je n’étais même pas intermittente du spectacle je crois à cette époque.

Ce passage au Chantier des Francos a-t-il donné le coup d’accélérateur que tu attendais ?

Ah oui énormément, ça m’a beaucoup aidée. J’ai adoré participer au Chantier des Francos, c’était une super expérience. Les intervenants étaient formidables, j’ai appris beaucoup de choses d’un point de vue scénique mais aussi simplement par rapport à la confiance en soi. J’en garde aussi des relations et des soutiens, particulièrement Emilie Yakich, avec qui je suis toujours en contact, avec laquelle j’ai fait d’autres choses depuis.

Ce début d’année marque la sortie de ton quatrième album : Paysages. Peux-tu nous le présenter ?

C’est pour moi le disque le plus tendre que j’ai écrit, je crois. Je l’ai fait avec des compagnons de route, de longue date. C’est aussi le premier que je sors de façon indépendante. C’est réellement une nouvelle étape dans ma carrière.

Avec ce titre, il y a un rapport à la nature et à la liberté évident. Les lieux où tu as enregistré ces paysages t’ont inspirée ?

Totalement. Tout ce changement vient aussi du fait que j’ai quitté Paris y’a deux ans et demi, pour me rapprocher de la nature. Je vis désormais dans un hameau minuscule, bordé de bois, en Bretagne. Je ne supportais plus très bien la ville. Avec le réchauffement climatique, l’effondrement des espèces… Je crois que j’avais un grand besoin de sentir tout ce qui vit encore.

Ce disque est aussi engagé : il met en lumière des héroïnes féministes. Notamment sur le titre L’étincelle qui rend hommage à la comédienne Adèle Haenel.

Ce sont des personnalités qui m’émeuvent beaucoup, qui m’ont fait changer, même dans mon rapport parfois intime aux choses, à la société, aux relations entre les hommes et les femmes, aux relations avec les femmes… Je trouve qu’il y a quelque chose de très libérateur depuis quelques années par rapport à toutes ces questions sociétales et ça me plait beaucoup. Ça m’a vraiment bouleversée quand j’ai vu les images d’Adèle, quand elle s’est levée de la cérémonie. J’ai trouvé qu’elle autorisait et donnait la possibilité à chacune, et de façon plus globale aux dominés en règle général dans cette société, de se lever et de claquer la porte. J’ai trouvé que c’était très fort symboliquement.

Tu as initié le projet Protest Songs avec Jeanne Added, Camélia Jordana et Sandra Nkaké.

C’était à l’occasion d’une résidence à la maison de la poésie que j’avais appelé : « Une histoire de la chanson ». Pendant un an, j’ai eu des rendez-vous assez fréquents à cet endroit pour raconter mon histoire de la chanson, c’est-à-dire quelque chose d’extrêmement subjectif. Je considère que la chanson est l’un des compagnons de l’humanité et qu’elle a de nombreuses formes. Ça m’a donc permis d’explorer des liens à chaque fois entre littérature et musique. Et donc à l’occasion de cette résidence, il y a une fois où j’ai eu envie de convier mes amies merveilleuses, qui sont aussi de merveilleuses musiciennes, pour qu’on monte ce chœur de chants protestataires.

Parmi la sélection 2021 du Chantier des Francos, une certaine parité fait plaisir à voir. Selon ton expérience, penses-tu qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie du disque ?

Je crois que ce qui est difficile c’est de se faire une place en tant qu’artiste : c’est-à-dire en tant que cheffe d’entreprise, en tant que productrice, en tant que personne décidante et décisionnaire pour elle-même. On peut, je crois, tout à fait être assez facilement une chanteuse, une interprète, mais en revanche avoir cette légitimité à écrire des projets, les mener à bien, être aux manettes… C’est encore difficile mais ça change. Je le sens.

Quels conseils donnerais-tu aux artistes du Chantier des Francos 2021 ?

D’en profiter ! Vraiment et pleinement, à tous les niveaux, parce que c’est une super expérience à vivre. Cela fait partie des meilleures expériences professionnelles que j’ai eues, cela m’a aidé à faire ce métier.

C’est quoi la suite pour L ?

J’aimerais que les concerts reprennent évidemment… Je crois qu’on en est tous là. C’est vrai qu’il y a cette grande difficulté à ne pas faire de concerts, donc voilà, j’attends que les salles rouvrent. Et bien sûr, il va y avoir des clips à venir pour mon album Paysages. Je vais essayer d’imaginer des choses pour faire vivre l’album de façon virtuelle, mais c’est sûr que ce ne sera jamais la même chose qu’être avec le public sur scène.