Mai
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Une fois par mois, RIFFX vous invite à son rendez-vous original sous la forme de chroniques musicales. Les 5 albums du mois de mai 2022 – avec Arcade Fire, Kendrick Lamar, Lykke Li, The Smile et Uffie – c’est tout de suite !
Dix-huit ans après l’acclamé Funeral (2004), quinze après le triomphal Neon Bible (2007), Arcade Fire est attendu au tournant d’un sixième album qui, comme son titre WE l’indique, se veut ouvertement inclusif. Un disque pensé et conçu en deux faces distinctes : I et WE – WE étant inspiré par le roman éponyme d’anticipation de l’écrivain russe Evgueni Zamiatine publié il y a un siècle. La première pour décrire les remugles de l’époque, la seconde pour espérer des jours meilleurs. D’autres références littéraires parsèment l’ensemble puisque les deux morceaux d’ouverture, Age of Anxiety I et Age of Anxiety II (Rabbit Hole), trouvent leur source dans un texte du poète américain Lawrence Ferlinghetti (I Am Waiting), sur lequel Win Butler a phosphoré depuis des années. “It’s the age of doubt/And I doubt WE’ll figure it out”, chante-t-il en introduction de cet autre diptyque – l’album en compte trois sur d’ambitieuses pièces montées, pour un disque paradoxalement ramassé en quarante minutes. Et que dire de End of the Empire I-IV, soit quatre parties portées par une étourdissante production panoramique ?
Enregistré dans plusieurs studios, ce disque doit beaucoup au contexte ambiant – de la pandémie à l’élection présidentielle américaine, de l’assaut du Capitole au dérèglement climatique. Le déclin de l’empire américain est ouvertement évoqué dans End of the Empire, qui se décompose comme suit : Last Dance, Last Round, Leave the Light On et Sagittarius A, le trou noir au centre de la Voie lactée représenté par un œil humain sur la pochette de WE, encore signée JR. Impressionnant par sa progression harmonique et son ampleur symphonique, End of the Empire est la pièce centrale du disque et celle qui referme superbement la face A, où les voix de Win Butler et Régine Chassagne jouent à cache-cache dans un clair-obscur orchestral dont il est absolument impossible de se départir.
Place à la lumière, donc, sur la face B qui s’ouvre par ce single en deux temps, The Lightning I, II finissant de tout emporter dans sa partie endiablée, typique du son Arcade Fire depuis les premiers classiques Neighborhood #1 (Tunnels) et Neighborhood #2 (Laika). Couple à la ville comme à la scène, Win Butler et Régine Chassagne se fendent ensuite d’une chanson énamourée pour leur fils de 10 ans, Unconditional 1 (Lookout Kid), comme une ode au libre choix. En appendice, Unconditional 2 (Race and Religion) voit Régine Chassagne duettiser avec Peter Gabriel, rejoignant ainsi David Bowie dans le panthéon personnel du groupe. C’est aussi l’heure de l’explication de texte et du concept de l’album : “You and me could be WE.” Ce sixième album d’Arcade Fire marque indubitablement un nouveau départ dans leur carrière. Après avoir tenu une cadence discographique assez infernale depuis 2004, les Montréalais semblent avoir goûté à l’obscurité pour mieux revenir en pleine lumière. Au point d’être redevenus aussi perçants que l’œil de la pochette de WE.
Cette cinquième installation préfigure la nature oxymorique de celui qui s’est, tout à la fois, replié sur lui-même au point de ne collaborer récemment qu’avec son cousin, Baby Keem, et exposé aux côtés de Dr. Dre durant la mi-temps du plus grand événement sportif outre-Atlantique, le Super Bowl. Professant un “I want the hood to want me back”, Kendrick Lamar se pose une nouvelle fois comme un prophète aux pieds d’argile, quelque part entre l’écart qui subsiste entre son audience mondialisée, le hood auquel il adresse ses prêches et sa propre intimité (sa femme, Whitney Alford, ses enfants, sa famille et lui-même).
S’il avait déjà fait de DAMN. un album résolument personnel – alors qu’au lendemain de l’élection de Donald Trump, le public s’attendait à une saillie politique de la teneur de son To Pimp A Butterfly –, Mr. Morale & The Big Steppers creuse un peu plus le sillon de l’introspection (et tout ce qu’elle contient de contradictions et d’hypocrisie) à la manière du 808s & Heartbreak de Kanye West. Impudique jusqu’à la moelle, ce nouveau double album du natif de Compton prend sa source dans les insécurités de son auteur : ses tromperies, la religion, ses séances de thérapie, son enfance et l’implacabilité des violences systémiques. Si, par instants, ce cinquième effort peine à récréer la virtuosité musicale de TPAB et Good Kid, M.A.A.D. City ou l’urgence de DAMN., l’armada de producteurs familiers (Sounwave, DJ Dahi…), l’apport de Pharrell Williams (Mr. Morale), The Alchemist (We Cry Together) mais surtout la soul presque décharnée de Duval Timothy confèrent à l’ensemble un écrin organique que seuls N95 ou Silent Hill viennent perturber. Une certaine idée du dépouillement idéale pour capturer ce passage de l’autre côté du miroir (18 morceaux pour 18 séances chez le psy) brillant d’ambivalence : un travail de guérison, un work in progress au cœur de ses insécurités figé dans le mouvement.
De la mise en scène très Eminem de We Cry Together, à sa relation intime à la transidentité sur My Aunties, en passant par l’auscultation de figures africaines-américaines (Oprah Winfrey, R. Kelly, Kanye West) au regard des violences systémiques ou la culture du viol dans le superbe morceau partagé avec Beth Gibbons de Portishead, Mother I Sober, Kendrick Lamar renverse la figure du donneur de leçons qui lui aura collé à la peau pour épouser une certaine idée du flux de conscience et embrasser l’incertitude, la recherche.
À ce titre, ce chevauchement et ces allers-retours entre passé et présent, l’enfance et l’âge adulte, sa famille d’alors et celle d’aujourd’hui contribuent à faire de Mr. Morale & The Big Steppers un disque proustien, faillible par certains aspects mais obsédé – jusque dans sa forme thérapeutique – par sa quête d’identité dont il dévoile ici les rouages. Porté par une foi immuable, si ce n’est en Dieu, dans la musique, Kendrick prouve, encore une fois, qu’il n’a pas son pareil pour mettre en sons les méandres de son esprit tortueux : “Chaque fois que je n’ai pu trouver Dieu, je pouvais toujours me retrouver dans une chanson.”
Pour oublier l’aventure So Sad So Sexy (2018), un disque qu’elle apprécie peu, Lykke Li a donc convié son fidèle complice Björn Yttling chez elle, à Los Angeles. Loin des studios, en isolement total, les deux comparses ont pris le temps de façonner ce que la Suédoise aime à nommer son “album vocal”. No Hotel et You Don’t Go Away en attestent : placées en ouverture, ces deux chansons sont presque des a capella, dépourvues d’effets numériques, dans une quête d’épure qui n’empêche pas l’immersion. C’est même avec envie que l’on se plonge dans de telles émotions, enveloppé par la voix puissante et tendre de Lykke Li.
Pendant le mixage, Lykke Li dit avoir regardé toutes sortes de films (Roméo + Juliette, Breaking the Waves, Eyes Wide Shut). Elle dit aussi avoir beaucoup écouté les disques de Brian Eno ou de Max Richter, et cela se ressent : Eyeye est un disque visuel, presque cinématographique, qui fantasme autant l’industrie hollywoodienne que la torpeur de Los Angeles, où ces huit chansons ont été pensées. Par instants, on retrouve même sur ce cinquième album ce qui fait la beauté des disques de Lana Del Rey : ce chant spectral, ce sens de la romance, ce goût pour les mélodies qui prennent leur temps, où on sent monter les grands sentiments que procurent les chansons d’amour.
De dépression, il est évidemment question sur Eyeye, sans que cela ne soit larmoyant, forcé ou calculé afin de coller à l’image fragile de Lykke Li. On dirait même qu’il faut une sacrée audace pour oser un tel disque, où chaque mélodie, aussi arrangée soit-elle, n’a d’autre fonction que de mettre en vedette le chant de la Scandinave. Celui à travers lequel elle aborde les relations toxiques, les préceptes new age (5D) et tous ces sentiments (le rejet, le désir, la dépendance, la passion) qui nous traversent quand le cœur est épris de quelqu’un d’autre. Seule certitude : Eyeye est un condensé de pensées et de sensations tellement éparses que l’on n’est pas toujours sûr de savoir ce que l’on est censé ressentir à l’écoute de Happy Hurts, Over ou ü&i. Du réconfort ? Peut-être. Une profonde mélancolie ? Sans doute. Un écho à nos propres fêlures ? Probablement. Reste que ce mystère se révèle particulièrement jouissif.
Formation ad hoc, estampillée “supergroupe”, sous la houlette de l’indéboulonnable sixième membre de Radiohead, Nigel Godrich, The Smile est constituée de Thom Yorke, Jonny Greenwood, ainsi que de Tom Skinner, batteur issu des Sons of Kemet, quartet jazz made in UK fomenté par l’immense Shabaka Hutchings. D’après ce que l’on sait, les morceaux qui forment A Light for Attracting Attention, le premier album de ces contre-Beach Boys, sont dans l’air depuis quelques années pour certains, comme des excroissances de sessions studio nocturnes. Avec ces gens, la chronologie n’est jamais une science exacte : notre théorie du moment, c’est que ce disque serait une sorte de spin-off situé un peu après la doublette In Rainbows (2007) et The King of Limbs (2011), qui réunissaient les obsessions rythmiques et motorik à l’œuvre aujourd’hui dans The Smile (l’avantage d’avoir dans son équipe l’un des meilleurs batteurs jazz de sa génération), et préfigurant les ambitions orchestrales de A Moon Shaped Pool (2016), le dernier album de Radiohead en date, qui convoquait déjà les cordes du London Contemporary Orchestra.
Ici, les cordes, les cuivres et les rythmiques complexes de Tim Skinner agissent, merveilleusement, comme des amplificateurs de son, mais ne viennent plus modifier l’ADN d’une psyché flinguée depuis bien longtemps. Ça tabasse sur You Will Never Work in Television Again, ça groove sur The Smoke, ça sonne Krautrock sur We Don’t Know What Tomorrow Brings, c’est hautement influencé par le jazz UK sur Skrting on the Surface. Sans vouloir la jouer audiophile forcené·e, on conseille une écoute attentive au casque. Ne serait-ce que pour rentrer dans l’univers multidimensionnel de la fascinante introduction du disque, The Same, qui ressemble à la rencontre parfaite entre Radiohead et Animal Collective. Ailleurs, sur Free in the Knowledge, c’est Damon Albarn qui s’inviterait presque dans les carnets d’écriture de Thom Yorke et qui le ferait chanter comme un ventriloque. En parlant de la voix de Thom Yorke, cet objet culte de la pop culture qui mériterait qu’on lui consacre un hors-série, l’emballement du moment nous fait dire qu’elle n’a jamais été aussi polymorphe.
La révolution n’a pas eu lieu. Annoncée comme la nouvelle championne de la pop à l’aube des années 2010, adoubée par l’un de ses principaux architectes (Pharrell Williams), la coqueluche d’Ed Banger Records s’est cassé les dents sur le plafond de verre d’une industrie musicale bien trop prompte à digérer, recracher puis manufacturer les inventions formelles et sonores de la pop contemporaine.
Malgré l’incapacité des stars de Myspace et du courant bloghouse à reformater le mainstream, et après s’être vu griller la priorité par Kesha et son tube chiptune TiK ToK (on appréciera l’ironie contemporaine du titre), le premier album d’Uffie, qui supporte curieusement bien l’épreuve du temps, aura pourtant pavé la voie à quelques pop stars aventureuses des années 2010, Charli XCX en tête. Sur sa mixtape Number 1 Angel (2017), cette dernière la faisait d’ailleurs renaître de ses cendres le temps d’un morceau partagé (Babygirl), de quoi remettre Uffie sur les rails de la composition après sept années de silence radio.
Désormais signée sur le label de Toro y Moi et sortie de sa retraite anticipée dans le désert de Joshua Tree, la chanteuse du tube Pop the Glock,
qui s’était illustrée depuis 2018 sur des singles digitaux réunis dans l’EP Tokyo Love Hotel, fait enfin son retour au long format. Profitant de la versatilité de Chaz Bear (le ska-punk de Dominoes) et du raffinement indie pop du producteur Lokoy (l’imparable Cool), Uffie retrouve sa position d’outsider de la pop qui paie son tribut à l’hyperpop (l’élastique Sophia ou Anna Jetson), tout en continuant à charrier l’influence d’ESG ou des productions de ses ancien·nes acolytes d’Ed Banger.
C’est dans cet interstice entre son passé de next big thing et cet apaisement que se nichent les dix titres de ce Sunshine Factory qui culmine sur le joliment titré Crowdsurfinginyoursheets. Porté par son écriture toujours aussi mordante et tout en refrains imparables, ce nouvel album est un formidable moyen de se rappeler, à l’instar du premier single au titre idoine, que Uffie n’a finalement jamais cessé d’être cool.
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