Les 5 albums du mois de janvier

En 2021, chaque dernier vendredi du mois, RIFFX vous invite à un nouveau rendez-vous sous forme de chroniques musicales. Les 5 albums du mois de janvier, avec Arlo Parks, Lala &ce, Marie Modiano & Peter von Poehl, The Notwist et Rhye, c’est tout de suite !

 

Arlo Parks – Collapsed in Sunbeams
(Transgressive Records/PIAS)

“Probably listening to Aldous Harding”, est-il écrit sur sa bio. Le folk de la Néo-Zélandaise ne peut laisser indifférente Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho, alias Arlo Parks, pour qui la grammaire du mal-être et les entrelacs de cordes font partie du quotidien. Cela ne l’empêche pas d’être sacrée, après deux EP et une poignée de singles étincelants, comme la nouvelle princesse de la soul britannique. Parce que sa musique est groovy, dramatique et moelleuse. En témoigne son épatant premier album, Collapsed in Sunbeams, dont la sortie la remplit d’“autant de confusion que de sérénité”. A l’image de ce journal intime gorgé de tubes (Hurt, Hope, Caroline, Black Dog, Green Eyes, Eugene…) sans pourtant jamais écœurer. Tout est si accompli que l’on pourrait croire qu’elle est entourée, comme d’autres autrices-compositrices-interprètes de son âge (20 ans seulement), d’une armada de producteurs prêts à en découdre avec Top of the Pops. Or, Arlo Parks s’est contentée de travailler quasi en huis clos avec le producteur italo-américain Gianluca Buccellati. La littérature est un point névralgique de la création d’Anaïs. Elle ne cesse de puiser dans les écrivains qui l’accompagnent depuis longtemps : Gary Snyder, Sylvia Plath, Nabokov, Zadie Smith – à laquelle elle emprunte le titre de son album, Collapsed in Sunbeams. Une expression tirée de De la beauté, tout en ambivalence, entre ombre et lumière.

Lala &ce – Everything Tasteful
(&ce Recless/All Points/Believe)

C’est une histoire de brume. Pas un brouillard éreintant, non. Un voile de brume tissé en poussières d’étoiles, un drap à la semi-transparence soyeuse qui déposerait de fugaces baisers sur les yeux clos. C’est une histoire de hiéroglyphes sonores, de langage inédit, de récepteur brouillé. C’est une histoire de mots mystérieux, de secrets lointains, de trésors ensevelis qui raviveraient d’intenses souvenirs, logés dans le bas-ventre moite de désir. De prime abord, on ne comprend rien à ce que dit Lala &ce, rappeuse franco-ivoirienne de 26 ans ; et, paradoxalement, on capte tout. Des antennes nouvelles se sont déployées, extrasensorielles. Lala &ce rappe avec la nonchalance de l’assurance, le flegme vissé et la flemme d’articuler. A quoi bon puisque la brume mange l’espace avec suavité ? C’est un chant ancien et novateur qui dit l’amour et le sexe, thématiques de la nuit des temps pourtant jamais essorées, que Lala &ce revisite sur son premier album, Everything Tasteful. Son premier album dit d’ailleurs son amour du collectif, chaque titre étant produit par une personne différente, Lala &ce préférant mettre en avant les talents des producteurs que de “perdre du temps” à s’y coller elle-même. Elle reçoit les sons instrumentaux de producteurs inconnus, ou bien en contacte elle-même certains sur Instagram, comme Chase the Money. Puis Lala &ce freestyle et écrit sur son téléphone, fondant les mots dans le son. Six featurings apportent autant de richesses à l’album, dont Viral avec S3nsi Molly, rappeuse texane trap et cash qu’elle a convaincue sur Instagram, tout comme le Britannique Lancey Foux. Comme le souligne très justement son ami Le Diouck, la prouesse de l’album tient à sa capacité à mouler la voix de Lala dans les prods et inversement, les deux ne formant plus qu’une boule de glace prête à fondre sur les corps en transe.

Marie Modiano & Peter von Poehl – Songs from the Other Side
(Nest & Sound/Modulor)

“La musique est au centre de nos existences et, au fil des années, nous avons l’impression d’être deux instruments accordés ensemble, nous écrivent-ils d’une seule voix. Après plus de quinze ans d’amour et de collaborations, nous voulions allier d’une manière à la fois originale et personnelle nos deux bagages musicaux et littéraires. Dont acte avec Songs from the Other Side, né d’un spectacle créé en décembre 2019 au Centre Pompidou. Comment ont-il choisi leur corpus, essentiellement constitué de reprises ? Non, “plutôt comme un juke-box d’une vie passée qui jouerait en boucle des chansons d’amour”. L’humeur varie, de la plus mélancolique à la plus euphorisante, entre I Believe (When I Fall in Love It Will Be Forever) de Stevie Wonder, One Love de Bob Marley enchaîné avec People Get Ready de Curtis Mayfield, Dead Melodies de Beck…

C’est joli sans être lisse, grâce à des arrangements sous influence d’une Americana riche en réverbérations. Ouvert et conclu par deux beaux instrumentaux, accompagnés par l’expérimental spoken word Dagbok, l’album est porté par son morceau presque éponyme, A Song from the Other Side. Cette composition originale est l’un des plus beaux duos à ce jour de Marie Modiano et Peter von Poehl, leurs voix se mariant parfaitement sur une trame sonore sixties. Ainsi, Songs from the Other Side rend hommage non seulement aux variations diverses d’une pop accessible aux grands sentimentaux, mais aussi, pudiquement, à un amour que l’on devine nourri d’affinités électives et exigeantes.

The Notwist – Vertigo Days
(Morr Music/Bigwax)

S’étant frayé un chemin atypique et sinueux, jamais prévisible, dans le paysage musical international, The Notwist accomplit jusqu’à présent un parcours exemplaire, jalonné de plusieurs albums remarquables. Leur splendide Vertigo Days vient encore rehausser une discographie déjà très élevée et semble offrir la quintessence d’un groupe éminemment singulier, irréductible à un genre en particulier. Plus de six ans séparent Vertigo Days de Close to the Glass, leur précédent lp sorti en 2014. Le chantier en vue d’un nouveau chapitre de The Notwist s’est pourtant enclenché dès 2015 avec l’idée de construire, pour les frères Markus et Michael “Micha” Acher, des chansons sur la base de sessions d’improvisation. Résolu à terminer l’album en 2020, le trio a dû, comme tout le monde, se réorganiser avec la survenue de la pandémie. Achevé à la fin de l’été dernier, l’album a été réalisé avec la collaboration de plusieurs invités gravitant dans l’orbite du groupe depuis quelques années. L’idée d’une communauté transfrontalière se révèle ici essentielle, au niveau humain autant qu’au niveau artistique. Membre du duo Tenniscoats, la Japonaise Saya insinue sa voix délicate sur Ship, renversante comptine krautpop digne du meilleur Stereolab. De son côté, l’Argentine Juana Molina s’approprie avec éclat Al Sur, crépitante mosaïque rythmique agrémentée de parties vocales en espagnol. Illustré par une belle photo de la photographe japonaise Lieko Shiga, dont le tremblé poétique s’accorde idéalement à celui de la musique, Vertigo Days délivre au total quatorze morceaux qui se fondent et s’enchaînent sans le moindre fléchissement. Typiques de The Notwist, plusieurs cotonneuses ballades mélancoliques (Into Love, Loose Ends, Sans soleil, Night’s Too Dark, Into Love Again) cajolent délicieusement l’oreille. D’emblée enchanteur, l’ensemble affirme et affine un peu plus son pouvoir de séduction à chaque nouvelle écoute.

Rhye – Home
(Loma Vista/Caroline)

Tout a commencé pour Rhye en 2013 par un point d’interrogation : qui se cachait derrière ce duo dont le premier album, Woman, mélangeait astucieusement électronique et cordes symphoniques, ralentissait le tempo et surfait sur des mélodies chloroformées, naviguant entre soul, jazz et disco, porté par une voix envoûtante que tout le monde attribuait à une femme ? Affirmant que leur musique était plus intéressante que leur identité, Rhye dut rapidement tomber les masques, devant le succès phénoménal et les critiques dithyrambiques qui les rangeaient aux côtés de The xx, James Blake, Cigarettes After Sex. On apprenait ainsi que derrière le duo mystérieux basé à Los Angeles se cachaient Mike Milosh (chanteur et musicien canadien) et Robin Hannibal (producteur danois au sein de Quadron), avant de se séparer en 2017.

Avec sa voix androgyne tout en caresses et chuchotements, Mike poursuivait l’aventure Rhye, avec l’album Blood (2018), accompagné d’un groupe qui dépouillait la musique de toute son alchimie savante, et l’ep Spirit (2019), qui déshabillait encore plus le projet pour s’appuyer sur une formule piano/chant plaintif, peinant à retrouver l’éclat des débuts. Ce troisième lp signe une nouvelle étape dans la vie de ce grand voyageur qui s’est enfin posé avec sa compagne à Los Angeles, comme une tentative de revenir à ce qui faisait toute la magie et la spiritualité de Woman. Soit une electro-soul blanche qui se pique d’incursions disco, r’n’b ou jazz, tout en nageant dans du coton, alternant complaintes langoureuses et comptines doucement dansantes rappelant parfois, de loin, le charme délicat des premiers Sade ou d’Everything But The Girl. Fondant et sucré comme du caramel, tout en renouant avec les rythmiques lascives, les nappes mélancoliques et les violons larmoyants, Home accumule quelques jolis tubes amoureux aux titres évocateurs (Beautiful, Hold You Down ou Come In Closer), qui sont doux comme une couverture en mohair.