L’album du mois : “Sophie” de Sophie

 

Plus de trois ans après le tragique décès de Sophie en janvier 2021, son label Transgressive Records publie “Sophie”, un album posthume attestant de l’immense versatilité et de l’influence sur la pop music de son autrice.

Lorsque le communiqué qui annonce sa disparition tombe le 30 janvier 2021, l’intégralité du monde culturel réalise ce qu’il vient de perdre. Des artistes pointus de l’avant-garde électronique à la pop la plus exubérante, en passant par l’écosystème du rap américain, des journalistes aux professionnels de la musique (producteurs, musiciens…), underground ou mainstream, tous pleurent la fin tragique de Sophie. Une preuve, s’il en fallait une, de l’impact de la musicienne et productrice alors âgée de 34 ans sur la musique mondiale.

Sophie, son second album publié à titre posthume (en grande partie réalisé par ses soins mais finalisé par certains de ses plus proches collaborateurs), rend un vibrant hommage à l’artiste révélée par l’immense Product en 2015. Une cartographie sensible de ce qui faisait sa musique, toute sa musique. À cet égard, Sophie n’est pas l’album d’avant-garde qu’il aurait pu ou dû être, mais plutôt une photographie de sa carrière. Des réminiscences de sa collaboration pop avec la grande prêtresse Madonna (Do You Wanna Be Alive), des rappels de ses productions pour quelques rappeurs, notamment le Californien Vince Staples (Rawwwwww), des idées post-club (Berlin Nightmare ou Elegance), mais aussi des plages ambient inspirantes – l’ouverture Intro (The Full Horror), The Dome’s Protection –, tout y passe.

S’il est difficile d’envisager pleinement ce vers quoi la carrière de Sophie aurait pu tendre – les avant-gardistes sont imprévisibles par nature – à cause de la profusion de featurings qui confère à l’ensemble un look de mixtape de luxe, il est plus aisé de saisir ce que Sophie s’apprêtait à laisser derrière elle. En tant que pionnière du mouvement hyperpop, elle délaisse sur Sophie l’ironie mordante qui caractérisait les premières heures du genre ainsi qu’une grande majorité de ses tropes esthétiques pour embrasser l’idée d’une pop émotionnellement premier degré et des inventions formelles qui dépassent largement le cadre de la pop-bubblegum de ses premiers essais.

En résulte donc cet objet musical non identifié au spleen dévastateur et qui porte en son sein toute la charge subversive et euphorisante de sa musique produite jusqu’alors : encore et toujours la pop du futur, totalement libre d’investir tel ou tel genre, complètement affranchie du dogmatisme des formats préconçus. Une œuvre testamentaire hédoniste à mille lieues de l’opportunisme mortifère qui guette ce genre de projets musicaux, un hommage déchirant de ses proches à l’héritage de sa musique et un cadeau inespéré pour les mélomanes en mal d’entendre, une dernière fois, le génie de Sophie à l’œuvre.