Invitée RIFFX : Jeanne Massart, la scénographe star des festivals

Scénographe de renom, Jeanne Massart a vécu plusieurs vies avant de devenir une figure incontournable de la musique live. Printemps de Bourges Crédit Mutuel, We Love Green, Rio Loco… derrière l’ambiance féerique de ces grands festivals, c’est toujours elle qu’on retrouve. Amoureuse du beau et adepte de la récupération, cette artisane-conteuse a déployé en 2022 un nouveau stand RIFFX sur nos festivals partenaires, ainsi qu’une scénographie incroyable pour le Printemps de Bourges Crédit Mutuel. L’occasion pour RIFFX de faire plus ample connaissance avec Jeanne Massart, autour d’une rencontre passionnante. Interview.

 

Bonjour Jeanne Massart, peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours atypique ?

Le parcours scolaire a été trop difficile pour moi, pas parce que j’étais bête mais je n’ai jamais compris l’intérêt d’apprendre des choses qui ne me serviraient pas à construire quelque chose pour la suite. C’était mon tempérament gamine. Jusqu’en terminale ça a été vraiment dur. J’ai toujours aimé faire des scénographies, c’est con mais avec mes jouets, plus que de jouer en soi, j’aimais faire des compos. Pendant les vacances, je travaillais en gériatrie en maison de retraite et ça m’a plu, parce qu’il n’y avait pas de pression de codes sociaux. Comme il fallait bien que j’ai un métier, que je n’aimais pas l’école et que je voulais faire un parcours court, j’ai fait des études d’infirmières. J’ai fait ce métier-là qui m’a beaucoup plu pendant trois ans et demi en banlieue parisienne, puis on fait vite le tour au niveau de l’humain, je n’aimais travailler qu’avec les personnes âgées. Si on veut bien faire ce métier, je pense qu’on ne peut pas le faire toute une vie.

Après ta première vie d’infirmière, tu t’es dirigée vers des métiers de la culture

J’ai tout lâché, je me suis mis à faire des petits boulots. Je me suis réinstallée à Paris quand j’avais 25-26 ans. C’est là que j’ai travaillé pour « Les cakes de Bertrand », une boutique d’accessoires de mode. L’un des deux créateurs, Adolphe Besnard, qui a aussi monté la marque Paul & Joe, m’a impliquée de plus en plus au niveau création : je l’aidais à faire les vitrines, on allait chiner énormément ensemble, j’ai toujours adoré chiner. On se demandait comment faire des choses jolies et modernes en intégrant des choses anciennes. En parallèle, j’ai fait la rencontre de la fille de Tony Gatlif, la réalisatrice Elsa Dahmani, avec qui j’ai monté une boite de production qui s’appelait Loba Production. On faisait de la captation de concert, du DVD musical… Le milieu de la musique m’a beaucoup plu. De cette expérience, petit à petit, les choses se sont enchaînées. J’ai filmé de plus en plus de concerts, j’ai rencontré des artistes… On adorait ce qu’on faisait mais on ne gagnait pas d’argent on s’est rendu compte que le milieu du support disque était fini, on adorait ce qu’on faisait mais on ne gagnait pas d’argent. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de proposer des scénographies à des artistes. Parmi mes premières collaborations, il y a eu General Elektriks, sur une date à la Bellevilloise. Après ça, plusieurs maisons de disques m’ont abordée. J’avais un pied dans la mode et je commençais à avoir l’autre pied dans la production d’images musicales. On a dû arrêter la boîte de prod, mais grâce à mes rencontres, j’ai eu de nouveaux contrats au niveau de la décoration musicale.

C’est à ce moment-là que tu as créé ta propre société qui allait devenir Maloha

Il y a vingt ans j’ai monté une petite structure, « Jeanne chine pour vous », qui s’est transformée ensuite en Maloha. S’il y a des gens qui ont adoré le mouvement vintage dès le début, ce n’était pas du tout à la mode de chiner. Tous les weekends, je me déplaçais pour faire les brocantes, on partait à 3 heures du matin, on faisait des kilomètres pour trouver des éléments de décor et des objets qui avaient une âme. Plus tard, je me suis formée en menuiserie dans le but de mettre en valeur des objets vintage. Mon réseau a commencé à me rappeler sur des petits événements pour faire des mises en beauté : vitrines, sorties de produits, corners, pop-up stores… Puis il y a eu le très gros projet Barbie où j’ai dû construire une Barbie Factory, dans une boutique rue de sèvres à Paris. C’était un vrai challenge avec peu de budget. Je faisais déjà de la récupération à l’époque sans le dire à mes clients car ce n’était pas bien vu. On estimait que c’était synonyme de mauvaise santé financière plutôt que d’être concerné par l’aspect récupération et réutilisation. C’est devenu ma force, car j’amenais des décorations différentes des autres. Après cet événement, j’ai commencé à travailler sur des clips, des stands de festivals et des photo call, avec des agences et des marques, sur des plus gros projets. Sur plusieurs festivals, j’ai créé des pergolas Ben & Jerry’s qui ont plu. Les directeurs de festival se sont rendus compte que j’arrivais avec du solide, des choses aux normes, avec une équipe hyper au point et que je suis complètement autonome : je gère tout sur les projets. C’est là que Marie Sabot m’a remarquée et qu’elle m’a commandé plusieurs pergolas, avant de finalement me confier toute la scénographie de We Love Green.

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Comment envisages-tu ton métier de scénographe ?

Mon métier c’est ma passion : raconter une histoire avec des objets dans laquelle je me mets au service de ceux qui veulent la raconter. Je me vois plus comme une artisane plus qu’une artiste. Une conteuse plus qu’une écrivaine. Télévision, spectacles, concerts, mode, marques… J’aime travailler dans tous les domaines. Aujourd’hui je choisis des gens que j’aime avec qui travailler, peu importe le projet à partir du moment où je dois me rapprocher au plus près de ce que le client rêve d’avoir. J’aime quand il y a un challenge technique : la menuiserie, la ferronnerie, toucher la matière… C’est ce qui me plait, c’est là que je m’amuse, que ça devient concret, que ça prend vie… J’aime tous les projets à partir du moment où il y a une part créatrice. Tout peut être rendu beau, même une casserole échouée au bord de la route.

D’où vient cette passion pour la scénographie ?

C’est plus facile aujourd’hui d’en parler avec le recul. J’ai toujours eu un tempérament hyper émotif. Je n’ai pas peur de le dire, au contraire, on aurait pu me qualifier de névrosée / borderline. D’ailleurs j’embauche régulièrement des jeunes de la Mission locale, souvent fâchés avec l’école, ils nettoient, peignent, scient, poncent, soudent… J’étais d’une nature très rêveuse, hyper sensible, anxieuse. J’avais besoin de créer un cadre. On dit que pour se sentir bien il faut une maison bien rangé, on dit « avoir un toit », dans tout ça il y a de la matière. Pour pallier à mes névroses et une certaine angoisse de vie, ma réponse a été de mettre en scène des jolies choses et des objets qui me font du bien, dans les lieux que j’intégrais, pour me sentir en sécurité et que je me sente chez moi d’une certaine façon.

Quels types de matériaux utilises-tu ?

Au niveau des structures, avant de construire quoi que ce soit, on est contraint par la sécurité vu qu’elles accueillent un public. Le vrai souci est de se dire qu’il n’y aura pas d’accident, que ça va tenir contre le vent, les tempêtes etc. Logiquement, on utilise du bois et du métal comme matériaux. Concernant l’habillage, les objets et l’accessoirisation, c’est hyper large selon les besoins du client. Mais l’essentiel c’est la menuiserie et ferronnerie, donc le bois et le métal.

As-tu un matériau de prédilection ?

Le bois c’est une matière qui vit, une matière évoluante : si on passe trois fois la ponceuse, on n’aura pas la même couleur, le même toucher, la façon dont on travaille les coupes… C’est de l’orfèvrerie. En métal, on peut faire de belles choses mais c’est tout de suite plus complexe. J’aime le bois.

La musique occupe-t-elle aujourd’hui la majeure partie de ton activité ?

C’est en tout cas ce que je préfère faire parmi mes chantiers, c’est une vraie histoire d’amour. La musique m’a toujours sauvé la vie. Il y a toujours une musique pour un moment de notre vie. Les projets de scénographie en musique, c’est plus long, ça ressemble à des colonies de vacances. C’est aussi une aventure humaine puisqu’on travaille avec plusieurs équipes, on se retrouve chaque année sur divers événements. Il y a un côté enfantin avec les festivals, moi j’adore. C’est le milieu que je préfère et pourtant c’est là où il y a le moins d’argent. Les budgets sont assez serrés et ça arrive souvent que je ne me paye pas sur les projets musique. Je peux me permettre de le faire car à côté j’ai d’autres projets plus rémunérateurs.

Quelle est la scénographie dont tu es le plus fière sur les festivals ?

C’est difficile à dire parce qu’on s’améliore avec le temps. J’ai acquis de la technique, j’ai passé des formations. Encore une fois ça va être le cœur et l’humain qui parlent, j’ai une grande reconnaissance pour Marie Sabot et We Love Green. Marie m’a permis de faire beaucoup de choses. Sans elle, je n’en serais pas là aujourd’hui, au même titre qu’Adolphe Besnart pour la mode à l’époque. Marie Sabot m’a donnée la clé d’une porte qui m’a amenée là où je suis aujourd’hui, et ça me plait. Et je la remercie pour tout ça du fond de mon cœur.

Quel est le projet le plus fou que tu as dû réaliser ?

Je pense que c’est l’utérus géant que j’ai réalisé pour l’émission « Les pouvoir extraordinaires du corps humain », ça c’était farfelu. Quand on m’a demandé de créer un utérus géant pour y mettre deux personnes lors du démarrage de l’émission, déjà je me suis demandé : à quoi ressemble un utérus ? Le défi était de rendre réalistes les différents aspects comme les vaisseaux sanguins etc. Je l’ai réalisé avec mon grand ami Samuel Blanes, qui fait aussi des décors en effets spéciaux et des masques bizarres de personnages de science-fiction pour le cinéma, c’était génial. On a fait cet utérus avec du latex, des fils de laine, des colorants pour faire le sang… Incroyable ce projet.

Si nous avons le plaisir de discuter aujourd’hui, c’est à l’occasion de ta collaboration avec RIFFX et le Crédit Mutuel. Peux-tu revenir sur cette rencontre ?

J’ai travaillé indirectement pour RIFFX avec le festival We Love Green en 2019, c’est moi qui ai réalisé le stand en bois, je le stocke d’ailleurs toujours chez moi. La vraie rencontre avec le Crédit Mutuel et RIFFX a eu lieu au Paris est TÊTU Festival en septembre 2019. J’avais tout conçu de A à Z, même les animations. Il y avait par exemple le Magic Depictor – animé par mon amie Lydie Greco – où un duo entre dans une cabine de photomaton et ressort avec une photo-croquis, dessinée par ma copine. Pendant le festival, j’ai rencontré par hasard Joëlle Martin qui s’est présentée en tant que responsable des partenariats musique du Crédit Mutuel. Je lui ai dit que j’avais le stand RIFFX de We Love Green chez moi, c’était marrant ! J’ai eu un gros coup de cœur humain pour Joëlle, comme avec certains de mes clients, on est sur la même longueur d’ondes, ça ne s’explique pas. Nous nous sommes ensuite recontactées pour travailler sur le photo call du MaMA Festival à Paris qui n’a pas pu avoir lieu en 2020. L’idée était de construire un stand qu’on pouvait réutiliser, j’ai fini par en créer un pour l’édition 2021 du festival. Le but c’est de ne pas construire à chaque fois qu’il y a un événement, mais de réemployer, ça correspond à la philosophie de Joëlle et aux valeurs du Crédit Mutuel. J’ai aussi conçu un stand RIFFX qui peut tourner sur tous les festivals partenaires du Crédit Mutuel. Il fait de 12 à 15 mètres linaires et chaque module est adaptable et séparable. Avec un stand comme ça, on peut tourner 4-5 ans, en faisant des petites mises à jour, c’est un projet qui ne va pas à la poubelle directement, c’est ça que j’aime dans l’approche de RIFFX. Mais attention, le réemploi n’est pas moins cher que le neuf : les coûts de transport, de stockage, de transformation et de nettoyage compensent largement ceux de l’achat de matières premières. C’est surtout une nouvelle manière de travailler, ça stimule la créativité, et je préfère payer des gars que du bois !

 

Récemment, tu as investi ton propre lieu, le Quincampoix, une ferme située à deux heures de Paris dans le Perche. Comment as-tu eu le déclic ?

Ce déclic ça fait 15 ans que ça mûrit. Mon idéal de vie est de vivre avec des gens de la culture et de la création, être surprise. Je pense que l’être humain est là pour faire et pour partager. Ce lieu je le rêve depuis plusieurs années. J’ai beaucoup évolué dans des squats, dans des résidences, ça m’a inspirée à vouloir créer un lieu de transmission, avec des gens que je considèrerais comme ma famille. Ici, je forme des gamins qui ont vingt ans de moins que moi, je sais que tout ce que j’ai appris n’ira pas à la poubelle quand je partirai. Il fallait trouver l’endroit et une configuration qui s’y prêtait. J’ai donc trouvé une ferme, avec une zone exploitable pour travailler sur l’événement et la culture, je veux aussi développer des plantations pour qu’on y mêle le toucher de la terre. Ma source d’inspiration c’est la nature. C’est un projet qui va se développer sur les prochaines années.

Que se passe-t-il dans ce lieu ?

Pour l’instant j’ai des choses qui tiennent de l’éphémère. Je suis en plein dans les demandes de permis de construire une salle d’expo en ERP (établissements recevant du public), on attend les validations. Pareil, je compte faire une réhabilitation des logements et trouver un partenariat pour qu’il y ait une personne qui gère le futur studio d’enregistrement de musique. C’est en développement avec différentes personnes. L’idée est de mettre quelqu’un de professionnel, les artistes ont besoin de se retrouver dans un lieu où tu peux à la fois manger, te promener, faire de la musique, éventuellement fabriquer des décors pour tes concerts… Il y a un vrai sens. On n’a pas encore fait d’ouverture officielle, juste des événements ponctuels pour le moment. Ce sera ouvert de manière saisonnière au public et même annuelle pour les résidents. Je voudrais que le Quincampoix devienne un laboratoire de vie dédié à l’art et à la musique.

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