Invité RIFFX : Yoann Le Nevé raconte le Hellfest en 2020

RENCONTRE – A la suite de la situation de crise sanitaire, Yoann Le Nevé – l’un des cofondateurs du festival de l’enfer aka l’iconique Hellfest – et son camarade Ben Barbaud ont dû repenser leur rendez-vous qui se déroule chaque année dans la petite commune de Clisson. Comment ont-ils vécu ces trois derniers mois ? Quelle alternative pour le Hellfest en 2020 ? Yoann Le Nevé vous dit tout dans cette interview avant de retrouver les meilleurs concerts des éditions précédentes sur Arte du 18 au 21 juin.

Bonjour Yoann. Quelle a été votre réaction quand vous comprenez que le festival sur lequel vous travaillez depuis des mois ne pourrait avoir lieu sous sa forme habituelle ?

Nous l’avons senti venir assez vite, dès le mois de février, mais c’est assez difficile à imaginer, ce sont des événements auxquels personne n’a réellement été confronté auparavant… On a essayé d’y croire malgré tout mais les faits étaient suffisamment clairs pour deviner la tournure qu’allaient prendre les choses. Quand le confinement a été annoncé, il était clair pour nous que la situation n’allait pas se décanter suffisamment vite pour mettre en place le festival que nous voulions. Nous avons commencé à imaginer un festival différent avec un montage perturbé, puis nous avons réalisé qu’il était inconscient de penser réunir autant de monde sur un périmètre aussi réduit. Quand la décision a été prise de notre côté, c’était évidemment un crève-cœur. En 17 ans d’organisation, c’est une première donc c’est un choc… Et puis on se dit qu’il y a des problèmes plus graves, des personnes qui meurent de ce Covid-19, tout le monde est impacté plus ou moins directement, à tous les niveaux.

Quelles sont les premières mesures que vous avez prises ?

Déjà nous avons mis en place le télétravail pour toute l’équipe, plus personne ne venait au bureau si ce n’est pour relever le courrier… Quand la décision d’annuler est prise, il faut mettre en place une communication adaptée à destination des festivaliers, mais avant cela, quelques heures avant, il nous a semblé logique d’informer les équipes techniques, bénévoles, artistes, prestataires, partenaires, mécènes… Tous les gens impliqués dans l’organisation d’une façon ou d’une autre. Vient ensuite le temps de la réflexion, du report, de la reprogrammation des artistes, de la recherche de solution pour éponger les pertes liées à cette année blanche.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à accepter dans cette situation ?

Personnellement, c’est le moment de partage et l’aventure avec les équipes bénévoles techniques et les partenaires et mécènes, qui sont donc reportés à une longue année. Et savoir aussi que tous les amis et festivaliers ne vont pas non plus se retrouver pour cette communion, ce rendez-vous incontournable qui apporte tant de joie et de souvenirs habituellement…

Suite à l’annulation du festival, vous avez décidé de faire don d’une cagnotte « Hellfest For Health » au CHU de Nantes. Un très beau geste. C’était important d’apporter votre contribution face à cette crise sanitaire ?

Bien sûr, l’idée nous est venue très vite avec Ben, que j’avais presque quotidiennement au téléphone pendant le confinement. Notre ancrage local étant très important à nos yeux, il n’y a pas eu de débat pour déterminer qui serait le bénéficiaire de l’opération. Nous travaillons depuis 17 ans avec les urgentistes de la région dans le cadre du dispositif des secours au Hellfest. Leur travail est exemplaire et donc comme nous ne pouvions pas attribuer l’apport financier dans le cadre habituel du festival, nous avons décidé de leur donner la somme habituelle à travers cette action de solidarité. Nous avons en plus mis en place une cagnotte publique, ainsi qu’une vente de masques et de t-shirts dont l’intégralité des bénéfices leur sont également transmis. Soit près de 200 000 euros au total ! Nous sommes extrêmement fiers et heureux de la générosité dont a fait preuve la communauté du Hellfest.

Chaque année, le Hellfest est un incontournable des festivals en France. Qu’avez-vous envie de dire à votre public fidèle ?

Que nous ne sommes pas abattus, loin de là, et qu’il peut compter sur nous pour revenir encore plus forts en 2021 ! La patience des festivaliers sera largement récompensée. J’en profite aussi pour les remercier, car en conservant leurs billets pour 2021, ils ont encore une fois fait preuve d’une fidélité sans faille et d’une confiance que l’on se doit d’honorer. Cette générosité nous permet de maintenir le fonctionnement de l’asso et surtout les 18 emplois permanents, et ça n’a pas de prix !

Si le festival n’aura pas lieu cette année, vous collaborez avec Arte afin de diffuser des concerts de précédentes éditions, aux dates auxquelles le Hellfest devait se tenir.

Cette idée nous a paru être une évidence car, suite à l’annulation, nous avons rapidement dû échanger avec Arte et la société qui gère les captations et diffusions sur les écrans du festival, mais aussi sur Arte concert et Arte tv. Il était hors de question que l’on n’envisage pas quelque chose en termes de diffusion. Nous avons aussi rapidement eu l’idée de faire un documentaire qui retrace les 15 dernières années du Hellfest, ainsi que de produire des concerts inédits et privés dans nos locaux avec les plus beaux fleurons de la scène extrême nantaise. Ce « Hellfest at home » s’est vite imposé à nous. Reste à espérer que cette version à travers écran du Hellfest 2020 rencontre le même succès que la version réelle ! En tout cas, chacun pourra vivre s’il le souhaite un moment du Hellfest lors de ce week-end des 18, 19, 20 et 21 juin 2020. C’était très important à nos yeux d’exister au moins de cette façon !

Comme vous allez nous manquer durant ce troisième week-end de juin, pouvez-vous nous partager vos derniers coups de cœur musicaux ?

J’écoute des musiques plutôt extrêmes mais pas seulement, donc cette semaine j’ai bien craqué sur le nouvel album de Run The Jewels en hip-hop et récemment, dans la même catégorie, j’ai beaucoup aimé le dernier Danny Brown. En musiques extrêmes, j’adore les derniers Okkultokrati et Blind To Faith. En « stoner », j’aime bien le dernier 1000mods et le Big Scenic Nowhere. En musiques plus accessibles, j’ai pas mal écouté aussi les derniers Wailin’ Storms, Bambara et Orville Peck. Avec le confinement, pas mal de groupes se sont essayés aux albums de reprises de leurs groupes favoris : j’ai beaucoup aimé ce qu’ont proposé Inter Arma, Thou, et Mantar. J’écoute beaucoup de choses donc je pourrais continuer longtemps…

De quelle façon allez-vous passer votre week-end du 19-21 juin ?

Nous nous réunissons avec l’équipe de production le samedi au siège du festival pour une journée qui sera loin d’être triste, car il est hors de question de passer ce week-end de manière isolée ! Nous aurions aimé réunir les équipes techniques, les responsables bénévoles, les décorateurs, les partenaires, mécènes etc. mais il est trop tôt pour envisager des rassemblements aussi importants tant que le virus continue de circuler activement.

Après ces trois mois éprouvants, quels sont les derniers mots que vous souhaitez dire aux Hellfesters ?

Prenez soin de vous et de vos proches, continuez à vivre avec amour et passion, et, d’ici la 15e édition du Hellfest, soutenez encore et toujours les artistes et les lieux de diffusion, ils ont besoin de vous… Sans eux, le monde n’aura plus la même saveur et sera bien plus triste. Personne n’a envie de ça, donc réinvestissons les concerts, les bars etc. dès que nous en aurons la possibilité !