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Skipper d’exception, Ian Lipinski n’a cessé de s’illustrer lors de ses dernières courses – sur le Class40 Crédit Mutuel – notamment lors de la Transat Jacques Vabre en 2019 et lors du Tour des îles britanniques en 2020. Avant de reprendre le large pour une nouvelle compétition, le navigateur français est passé par RIFFX afin de rencontrer le groupe rochelais The Big Idea, parti lui-aussi sur l’Atlantique, concocter une playlist spéciale et nous dévoiler son côté « musique et mer » aujourd’hui dans une interview passionnante. Embarcation immédiate !
J’écoutais beaucoup plus de musique quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui, on va dire qu’à terre j’en écoute peu, contrairement aux moments en mer, qui sont propices finalement pour écouter de la musique. C’est un peu comme en voiture, des moments privilégiés où on a du temps, sur un long voyage où on est posés et concentrés. Je n’aime plus écouter la musique en arrière fond, quand j’en écoute c’est parce que je l’écoute vraiment. En mer, la musique peut redonner la niaque, de l’énergie, ça peut aussi aider à passer une nuit quand on sait qu’on ne va pas beaucoup dormir et qu’il faut rester éveillé. Ça m’arrive aussi de chanter sur le bateau.
J’aime bien tout ce qui est chanson française, ce que je préfère c’est Georges Brassens. Je ne connais peut-être pas tout son répertoire mais je l’adore, je ne m’en lasse pas. Ça me surprend même de ne pas m’être lassé tellement je l’écoute. A chaque fois, je redécouvre ses chansons et me dis que ce qu’il a écrit est extraordinaire. Ses chansons sont incroyables. Un peu de la même manière qu’on peut redécouvrir plein de fois « Le petit prince » de Saint-Exupéry en littérature, pour moi Brassens c’est pareil. J’aime bien Georges Moustaki, Leonard Cohen, dans les plus récents je dirais La Rue Kétanou, La Tordue, les Têtes Raides… Tout ce qui est chanson. J’aime aussi certains musiciens du Cap-Vert : des copains m’avaient donné un CD à écouter en bateau, j’ai mis la musique en passant dans les îles du Cap-Vert, c’était un moment magique. Ensuite, j’ai écouté ces chansons jusqu’aux Antilles. Il y avait 5 morceaux que j’adorais et que j’écoutais tous les jours. Cesária Évora aussi forcément. Plusieurs fois j’ai découvert de la musique en mer, des choses qui sont restées et qui m’évoquent ces moments-là.
J’ai fait pas mal de concerts plus jeune, mais en fait je crois que je n’aimais pas trop ça (rires). Je n’ai jamais été très à l’aise dans l’ambiance des concerts, il y a ce truc que je ne supportais pas : quand les chanteurs disent : « Allez, tout le monde fait du bruit » ou « Tout le monde lève les bras ». Ça me met ultra mal à l’aise et je ne supporte pas. Mon plus beau souvenir, c’est quand j’avais 16-17 ans, un double concert dans la grotte de l’Aven Armand en Lozère avec mes parents. L’un des groupes était le Cuarteto Cedrón, c’est de la musique argentine, du tango. Le lieu, le cadre, tout était magique. C’était vraiment envoûtant et un super concert.
Ça peut remotiver, ça permet de s’échapper, se relaxer, prendre du plaisir… Il y a des fois où on oublie de prendre du plaisir, et écouter de la musique ça peut être le déclic pour reprendre du plaisir. En mer, j’aime bien écouter un album du début à la fin et me mettre dans l’ambiance, je n’écoute jamais de playlist en mode aléatoire parmi tous les morceaux que j’ai, c’est un truc qui ne me plaît pas.
En mer, sur nos bateaux de course, ce n’est pas des bruits, c’est un vacarme. C’est vraiment ultra bruyant. J’ai un souvenir quand Nicolas Théry, le président du Crédit Mutuel, nous a offert un casque de musique très isolant juste avant de partir en course. Comme on était deux, on pouvait se permettre de mettre ce casque à tour de rôle, soit pour se couper du bruit ou soit pour écouter de la musique. Je me souviens que quand on enlevait ce casque anti-bruit, c’était flippant de reprendre conscience du vacarme à bord. En général, on l’intègre et on ne l’entend plus. Ça permet aussi d’être à l’affût des bruits nouveaux qui sortiraient de l’ordinaire et qui pourraient signaler que quelque chose ne va pas à bord. Il y a un truc rigolo en mer : c’est les dauphins. Souvent quand on dort à l’intérieur, on sait qu’ils sont là car on les entend parler avec le son qu’ils produisent. Ce sont des sons très reconnaissables, on sait qu’ils sont en train de jouer avec le bateau, ça fait partie des bruits sympas.
C’est extraordinaire, on ne réalise jamais trop de la chance qu’on a déjà de participer à une telle course. La gagner, c’est forcément la cerise sur le gâteau, avec un bateau qui venait d’être mis à l’eau, alors qu’il y avait énormément d’incertitudes. Dès la première nuit, on a pris une option qui était un peu spectaculaire, et petit à petit on a pris la tête.
La rencontre avec le Crédit Mutuel est une chance inouïe pour moi qui sortait de la Mini Transat et qui ne savait pas trop comment continuer. La confiance que le Crédit Mutuel m’a accordée est incroyable. Non seulement, ils ne me connaissaient ni d’Eve, ni d’Adam et lors de notre rencontre ils m’ont dit : « On va te soutenir, on va faire un bateau ». Ils n’ont pas du tout voulu interférer dans les décisions, ils m’ont fait confiance pour gérer le projet en me donnant carte blanche, avec de grands moyens de pouvoir bien faire. C’est une chance inouïe, inespérée, c’est un confort. Ce sont des gens qui ne mettent pas la pression sur le résultat. Les messages que je reçois avant les courses c’est : « Fais-toi plaisir », « Ne prends pas de risques », « On ne te met pas la pression », « Concentre-toi sur l’effort sportif »… Les soutiens venant du Crédit Mutuel sont tous positifs, et je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde dans cet univers.
Ce que j’adore c’est qu’il n’y a pas de quotidien sur terre, il n’y a vraiment pas de routine, c’est très varié parce que bien sûr il y a l’entraînement navigation, mais c’est finalement une petite partie du quotidien. On est une petite équipe, il faut donc un peu tout gérer : il y a la partie préparation technique, la partie relation avec le partenaire, la partie administrative/comptabilité, la partie préparation physique, un peu de préparation mentale aussi… Je n’ai vraiment pas le temps de m’ennuyer et de tomber dans des routines. Sur l’eau, on ne peut pas dire qu’on s’ennuie aussi mais il peut y avoir des longueurs, des moments où il ne se passe pas grand-chose. Parfois, on a des coups de mou, on est toujours très fatigués, donc il faut réussir à contrôler ses humeurs et essayer d’avoir l’humeur la plus linéaire possible.
Pour moi, c’est l’aspect compétition : faire un mauvais choix stratégique, perdre de la distance, se retrouver à un endroit où il n’y a pas de vents… C’est les moments les plus durs, quand la compétition ne se passe pas comme on aimerait.
Un moment je ne sais pas, mais par exemple la victoire avec le Crédit Mutuel en 2019 sur la Jacques Vabre, j’en suis très fier. On a porté ce projet de bateau dans une nouvelle catégorie, construit le bateau dans les temps impartis, ça a été la course, on a donné tout ce qu’on pouvait sur le chantier pour être à l’eau le plus vite possible. On faisait des nuits blanches 7 jours/7, la préparation n’a pas été facile. Je suis très fier de cette victoire dans la gestion globale. Plus que les dix-sept jours de course, c’est l’aboutissement d’une espèce de sprint d’un an pour emmener ce bateau à la victoire. C’est la première fois aussi que j’avais un aussi gros projet.
Forcément il y a les défis de la Transat Jacques Vabre et de la Route du Rhum, des transats dont je connais maintenant le parcours. Je connais aussi mon bateau. C’est un défi d’un point de vue sportif et d’un point de vue compétition. J’aimerais un jour pouvoir faire un tour du monde, pourquoi pas en Class40 parce qu’il y en a qui se dessinent. Ça redeviendrait une énorme aventure et un énorme challenge, de la même façon que c’était un gros défi de faire le Tour des îles britanniques en solitaire. Jean Saucet, qui était un entraineur de La Rochelle quand je faisais du Mini, m’avait dit : « L’aventure commence là où les compétences s’arrêtent ». Il y a donc un peu de vrai. Un jour, si j’ai la chance de pouvoir faire un tour du monde, ce serait à nouveau un grand saut comme ma première transat atlantique en course.
La Route du Rhum va être un défi dans le sens où je n’ai pas fait encore de course en solitaire sur le Class40. Et c’est quand même vraiment autre chose par rapport au double. Il va falloir bien s’entrainer en solo toute l’année qui vient, après la Jacques Vabre. Et comme je disais, peut-être des projets de tour du monde, je touche du bois.
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