Prix Public RIFFX – iNOUïS 2023 : découvrez l’interview d’Aghiad Ghanem

Le jour, Aghiad Ghanem est enseignant chercheur en sciences politiques passé par Sciences Po et l’ENS, spécialisé sur la Syrie, la Turquie et le Liban. Le soir, il mène un trio mêlant pop, chanson française et musiques orientales, avec une délicatesse qui lui a valu nous seulement d’être sélectionné aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, mais en plus d’y remporter le vote du Prix Public RIFFX by Crédit Mutuel. Deux approches, reliées par un regard tendre et mélancolique sur une Syrie endeuillée.

 

Comment mêles-tu tes pratiques de chercheur en sciences politiques et de musicien ?

Je suis né et ai grandi à Paris de parents syriens, et je suis souvent allé en Syrie. Quand la guerre civile a éclaté en 2011, et face au pourrissement de la situation, j’ai eu envie de comprendre tout ça. Et la musique que je joue y est liée, on y trouve des éléments moyen-orientaux, notamment le oud dont je joue sur scène. Ces influences viennent de mon enfance, à écouter de la pop syrienne, égyptienne ou libanaise des années 80. J’ai transmis ces références aux deux autres musiciens du projet, Tom Hachez et Billy Sueiro, pour les transmettre le plus authentiquement possible. Ensuite, on va faire résonner ça avec d’autres références communes, comme Alt-J ou Radiohead.

On entend également d’autres influences chez toi, notamment de chanson française. 

Je dis souvent que sur la chaîne hi-fi de ma mère il y avait Fairuz et Yves Montand. Chanter en français, c’est important pour moi. J’écris seul les textes arabes et turcs, mais j’ai un co-auteur pour ceux en français, Vincent Lanthoën. On parle d’amour, de rupture, de deuil, pas juste de la guerre qui me touche personnellement, mais de thèmes universels qui créent une connexion avec le public.

 

La dimension politique de ta musique est donc totalement assumée ?

Je ne peux pas faire autrement, en fait. Cette crise qui dure depuis douze ans a influencé toute ma vie. Mais je n’ai pas de posture politique particulière. Depuis Paris, je n’ai pas vécu les mêmes tragédies que d’autres personnes sur place que je connais. Mon engagement n’est pas frontal. Je cherche à comprendre comment une crise aussi importante vient influencer la vie des gens, s’immiscer dans tout ce qu’on fait, tout ce qu’on est.

Tu chantes en français, turc et arabe. Croiser les langues te permet de faire dialoguer les cultures ?

Quand j’écris mes textes, je ne décide pas à l’avance de la langue. L’arabe est une langue maternelle, c’est une langue intime, celle de ma famille. Le turc, je l’ai appris plus tard : j’ai passé un an à Istanbul pour un échange universitaire, ce qui m’a permis de rencontrer une partie de ma famille sur place que je n’avais jamais rencontrée. C’est la dernière langue que j’ai apprise, et pourtant j’ai l’impression qu’elle me permet de toucher des choses très profondes en moi. Peut-être parce que j’ai un rapport plus personnel à cette langue, sans le poids de l’héritage. Forcément, le dialogue entre les cultures qui en découle est au cœur du projet.

 

Ta musique est également profondément mélancolique.

Oui, je l’apporte avec moi. Et on s’y retrouve avec Tom et Billy : on n’a pas les mêmes histoires, mais on arrive à se connecter. Cette vulnérabilité entre nous trois, et c’est très touchant. Pour ma part, j’ai une vraie nostalgie d’un monde que j’ai vraiment perdu, à savoir la Syrie d’avant 2011. Et puis la musique du Moyen-Orient est souvent remplie de nostalgie, de douce amertume, même dans des morceaux aux paroles plus légères.

 

Tu as également participé à un court-métrage, La Grande Nuit, en 2020. Peux-tu nous en dire plus ?

J’ai participé à l’écriture, je joue l’un des rôles principaux et j’ai coréalisé la musique avec un ami producteur de musique libanais, Marc Codsi. C’était un rêve de travailler sur une comédie musicale, surtout celle-ci qui est très importante dans le monde arabe. C’est une tradition importante des années 40 à 70, que j’avais envie de porter. J’adorerais en refaire une à l’occasion. Peut-être pas rejouer la comédie ! Mais écrire pour les films, et surtout dans la comédie musicale, ça me plaît beaucoup.

Comment s’est passé ton concert aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel ?

C’était toute une semaine incroyable, à partager avec plein d’artistes. On a beaucoup appris, rencontré des personnes géniales. J’en ai déjà revu trois ou quatre en concert depuis notre retour à Paris ! Pour le concert, on a vraiment cherché à vivre l’expérience à fond en oubliant l’aspect compétition et jury. On ouvrait la journée du jeudi, à 12h30, donc il y avait peu de monde au départ, mais ça n’a pas arrêté de se remplir, les gens restaient. Je me sentais débordé d’émotion, je pense que c’est le concert qu’on a le mieux vécu de tous ceux qu’on a donné jusque-là.

 

Que comptes-tu faire de ce Prix Public RIFFX by Crédit Mutuel ?

Ça va nous aider à bien finaliser notre EP à venir d’ici la fin de l’année. Il s’appellera, je pense, Liman (le refuge en arabe), et un premier clip devrait venir en septembre. Il nous ouvre aussi de belles opportunités de concerts : le weekend des curiosités à Toulouse en juin, un autre concert à Bourges le 4 août, puis aux Francomanias de Genève en août, au MaMa en octobre. Bref, de très belles choses !

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