Everydayz & Phazz : Almeria

En pleine tournée pour défendre « Almeria », formidable projet à deux têtes, les beatmakers Everydayz et Phazz expliquent la genèse de leur album baroque, aux frontières du rap et de l’électro, incluant des fanfares ou des éléments plus classiques sans tomber dans le kitsh. Sorti sur Nowadays, le label de « La fine équipe », « Almeria » est un album libre. Phazz et Everydayz s’affirment comme le chainon de moins en moins manquant entre rap et électro. Coup de cœur !

« Almeria » est un concept album. Vous êtes d’accord ?
Oui complètement. Initialement ce n’était pas un projet d’album mais plutôt une série de maxis centrés sur les boucles et le hip-hop à composer en duo. Au bout d’une semaine de studio, on s’est rendu compte qu’on s’éloignait du concept et qu’on avait beaucoup de choses à exprimer avec un personnage fictif. On s’est dit : on va sortir un EP, puis un album avec des interludes, « Almeria » était né.

Les concept albums, on les attend plutôt du côté de la pop. C’est un peu risqué dans la « beat music » ?
Les albums « Endtroducing » de DJ Shadow ou ceux de Massive Attack sont des concept albums importants pour nous. Ce sont des disques pour les amoureux de vinyles qui posent le diamant sur la platine et qui laissent tourner le son. Évidemment ça peut paraître anachronique aujourd’hui mais nous avons pris le parti de raconter une histoire. Vouloir scénariser la musique n’appartient à aucun style musical. En fait nous avons écrit un morceau de 25 minutes qui va du solaire à la mélancolie. Ça nous fait plaisir de surprendre notre public car le format album permet de prendre des risques, beaucoup plus que le format court du EP, réservé au dancefloor. C’est rare et génial d’avoir la possibilité de s’exprimer sur un format comme celui-là, alors si tu ne prends pas de risque ça sert à quoi ?

Quelle est la ligne de démarcation aujourd’hui entre rap et électro ?
Question pertinente car le rap est une musique électronique car elle est produite avec des machines. La différence réside dans l’utilisation de samples organiques dans le rap. Le rendu est plus chaleureux dans le rap mais si tu écoutes la house de Chicago, le son est aussi moelleux avec ses vocaux… La ligne de démarcation n’existe pas en fait…

C’est une notion qui a beaucoup évolué depuis dix ans car avant pour le public rap la techno était une musique de Blancs issus des classes populaires alors que le rap est une musique plutôt des quartiers populaires…
Oui, mais ça c’est une notion sociale avant d’être une notion artistique. J’ai plein d’amis qui écoutent de la techno et qui ne viennent pas de milieux privilégiés, et rien ne les prédestinait à en écouter. C’est plus une question d’état d’esprit, mais la musique permet d’abolir cette frontière. Tout a évolué et aujourd’hui il ne reste que des clichés. La preuve en est que les pionniers de la techno, à Detroit, étaient des enfants de prolétaires. Ils ne venaient pas de familles aisées et leur public non plus… Il n’y a qu’en France qu’on pense ça. Alors, bien sûr les codes sont différents dans chaque musique, mais si tu réécoutes les premiers titres de hip-hop, ils sont plus proches de Kraftwerk que de DJ Premier (NDR : DJ de Gangstarr, groupe pionnier de rap qui utilisait des samples de jazz), par ailleurs, quand tu regardes les clips de Grand Master Flash, tu vois bien que le mec était hypra propre sur lui, même s’il venait du ghetto.
Willy Richert

Découvrir :

Everydayz & Phazz – Girl Of My Dream Ft. Bridge

Crédit Photo : © Laurene Berchoteau