Comment être une artiste engagée ?

Björk et l’écologie

 

Premier volet de notre série consacrée aux rapports entre musique, nature et luttes écologiques, avec l’exemple de la superstar islandaise qui utilise sa notoriété pour établir un rapport de force avec l’industrie musicale, l’opinion publique et les politiques.

 

Dans une récente interview accordée au magazine américain Paper, l’artiste islandaise de 59 ans s’est montrée plutôt optimiste quant à notre capacité à surmonter les crises climatiques à répétition qui ont frappé le monde ces dernières décennies. Une déclaration qui s’ajoute à une longue liste de prises de position militantes jalonnant la carrière de l’autrice du récent Fossora. Critiquant les imaginaires véhiculés par les œuvres culturelles post-apocalyptiques, qu’elle juge trop nihilistes (tout en reconnaissant leur potentiel d’alerte), sa réflexion n’en reste pas moins lucide. C’est un optimisme militant, radical, qui appelle à imaginer, mais surtout à créer, un monde soutenable pour demain.

Face aux prophéties auto-réalisatrices se contentant d’affirmer que « tout ira bien », la carrière de Björk propose une alternative : une méthode d’action sous forme de question : « Comment s’en sortir ? ». Ce principe se reflète notamment dans son récent engagement auprès des activistes Camille Etienne, Claire Nouvian et Titouan Pillard, à qui elle a confié la gestion de son compte Instagram pour sensibiliser à la protection des océans. Il s’illustre également dans Cornucopia Live, un concert défendant son dernier album (publié malgré tout sur la plateforme de streaming Apple Music), un grand geste artistique et militant venant compléter une myriade d’autres initiatives.

En novembre 2023, Björk a créé l’événement en collaborant pour la première fois avec l’une de ses plus brillantes disciples, la Catalane Rosalía. Ensemble, elles ont offert un morceau suspendu (Oral), délaissant les impératifs commerciaux de leur carrière pour reverser l’intégralité des revenus générés par cette collaboration tant attendue à une association luttant contre la pisciculture industrielle. Leur initiative visait aussi à interpeller les pouvoirs publics sur la nécessité de renforcer la législation en la matière. Ce détournement des attentes rappelle celui orchestré par l’autrice d’Homogenic en 2015, lors du festival Icelandic Airwaves : au lieu de se produire sur scène, elle a tenu une conférence de presse pour confronter le Premier ministre islandais de l’époque sur des questions écologiques.

Si Björk a participé à de nombreuses campagnes (aux côtés d’autres artistes de son époque) abordant diverses problématiques environnementales et climatiques, son engagement va au-delà de la simple prise de parole médiatique : il est inscrit au cœur même de sa musique depuis trois décennies. De Biophilia à Fossora, elle semble être l’une des rares musiciennes à avoir intégré pleinement dans les imaginaires contemporains l’idée d’une lutte politique et sociale pour le climat, tout en soulignant l’importance de trouver une alternative désirable au modèle actuel. Un exemple d’engagement total, hors des cadres établis, qui exploite à la perfection le potentiel subversif et transcendant de la musique.

 

Les Inrockuptibles